Thursday, October 24, 2013

DE L’INJUSTICE COMME VIOLENCE
A LA JUSTICE COMME CONTENU DE L’ETHIQUE DE LA PAIX [1]

Par Mathieu Ndomba

0. – Introduction

Il paraît étrange de concevoir la violence sous l’angle de l'injustice et/ou vice versa.[2] En fait, l’intersection entre la violence et l'injustice n’apparaît pas toujours de manière explicite. En général, l’on conçoit la violence à partir d'une perspective exclusivement physique ou psychologique. Cette conception ne met pas en relief la relation entre la violence et l’injustice. Toutefois, une compréhension globale et large de la violence et de l’injustice permet de percevoir des similitudes qui rendent éloquente une interprétation de la violence conduisant à une articulation d’une éthique de la paix centrée sur la notion de la justice.

L'expression Latine suum cuique tribuere qui donne la compréhension traditionnelle de la justice, veut dire rendre à chacun ce qui lui est dû. Ainsi, dans la plupart des cas, les situations d’injustice représentent une carence ou un manquement de l’attribution de ce qui est dû à une personne ou à un groupe de personnes. Par définition, un tel manquement indique une violation, c’est-à-dire un acte de violence. Refuser de rendre à une personne ou à un groupe de personnes ce qui lui est dû, c’est violer ou faire violence à son droit de jouir de ce qui lui est dû. Ainsi, dans la plupart des cas, l’injustice exprime la violence et vice versa. Je vais montrer dans cette réflexion que cette intersection entre violence et injustice permet non pas seulement d’avoir une compréhension globale  et large de la violence (i), mais aussi crée une clairière où une éthique de la paix peut être articulée de manière pratique et effective sur le concept de la justice (ii).


i. - Une esquisse du panorama de la violence

L’un des plus grands problèmes que pose la définition traditionnelle de la justice que je viens d’évoquer se rapporte à la détermination de ce qui est dû. Qu’est-ce qui est dû à une personne qui, pour faire justice, doit lui être attribué ? Plusieurs philosophes, spécialement ceux qui ont élaboré des théories de la justice, ont essayé d’établir des listes de ce qui est dû à une personne.[3] Cela n’empêche pas de se demander si l’on peut vraiment établir une liste exhaustive et ahistorique de ce qui est dû à un être humain ? Il faut concéder ici une difficulté pratiquement insurmontable. Cependant, si l’on ne peut établir une liste exhaustive et ahistorique, l’on peut tout au moins se rendre compte que tout élément sur une telle liste va se référer, d’une manière ou d’une autre, aux attributs de la vie humaine, c’est-à-dire aux caractéristiques de la dignité humaine. Tout ce qui est dû à une personne est lié, d’une manière ou d’une autre, à la dignité de la personne humaine. Ce qui est fondamentalement dû à une personne, c’est le respect de sa dignité, c’est-à-dire le respect de son bien-être lié à ses besoins et droits fondamentaux, le respect de ses libertés et de ses relations à elle-même, à autrui et au monde. Les listes de ce qui est dû à un être humain fournissent les expressions et les formes du respect de la dignité humaine. L’injustice représente donc une forme de carence, de manquement ou de violation de l’une ou l’autre caractéristique de la dignité d’une personne prise individuellement ou comme membre d’un groupe social donné.

Cette définition de l’injustice permet d’avoir une compréhension plus large de la violence. Comme l’injustice, la violence désigne non pas seulement des actes d’agression, mais aussi toute violation de l’une ou l’autre caractéristique de la dignité de la personne humaine de quelque manière que ce soit. Concrètement, une violation de la dignité de la personne se fait à travers la violation de ses libertés, de ses relations sociales et de ses droits fondamentaux garantissant son bien-être matériel, psychologique, mental et spirituel. Dans une perspective globale et large, la perception de la violence ne peut se limiter à l’agression qui la caractérise habituellement. Elle ne se limite pas à traduire une utilisation négative de l'agressivité. Elle traduit un champ sémantique plus large.

La compréhension de la violence  qui se fait à partir du non-respect ou de la violation des caractéristiques de la dignité humaine embrasse un large éventail de situations. Dans cette perspective, la violence peut être explicite ou implicite, directe ou indirecte, intentionnelle ou non, connue ou inconnue, individuelle ou sociale, systématique ou structurelle ... Une violence explicite fait référence à une attitude objectivement et visiblement hostile à la dignité d’autrui. Elle implique par exemple l’usage de la force, des armes, des insultes, des mots hostiles, des menaces, etc. La violence implicite, par contre, se réfère à la violence psychologique. Par exemple, les situations de marginalisation, d’exclusion, de mépris, etc. peuvent comporter une violence ayant des effets psychologiques.

Une violence intentionnelle ou connue exprime des attitudes délibérément hostiles à la dignité d’autrui. Elle vient des choix volontairement  inamicaux ou nuisibles. Au contraire, la violence non-intentionnelle se rapporte à des dommages causés de manière involontaire à la dignité d’autrui. Elle peut être connue ou inconnue. Par exemple, une pollution accidentelle de l'environnement est une violence non-intentionnelle. Elle est une violence parce qu’elle viole le bien-être des populations qui s’exposeront aux dangers de cette pollution. Elle est connue lorsque, par exemple, une personne jette sciemment, dans la nature et sans les avoir préalablement recyclées, des substances chimiques nocives comme cela s’est fait à Abidjan, en Côte d'Ivoire. Cette violence est inconnue quand la(les) personne(s) impliquée(s)  ignore(nt) les faits.

La violence peut aussi être individuelle, sociale ou structurelle. La violence individuelle est liée à des attitudes hostiles qu’une personne a contre une autre personne ou un groupe de personnes. Par exemple, une agression physique ou verbale d’une personne contre une autre exprime une violence individuelle. La violence sociale est celle qu’exerce un groupe de personnes contre un autre groupe de personnes. Elle peut représenter un ensemble d’attitudes ou de structures et d’institutions sociales acceptées par un groupe de personnes mais qui sont hostiles à la dignité des membres d’un autre groupe de personnes. Par exemple, le racisme, l’exploitation, l’impérialisme, la domination, l’occupation du territoire d’autrui, la colonisation, l’apartheid, la destruction de la culture d’autrui, l’oppression, le génocide, la guerre d’agression, l’épuration ethnique, etc. représentent des cas de violence sociale ou structurelle.  

Le dénominateur commun de toutes ces formes de violence est qu’elles traduisent une attitude inamicale, hostile ou nuisible à l’épanouissement de la dignité humaine. Elles décrivent des circonstances où l’on ne rend pas à une personne ou à un groupe de personnes ce qui lui est dû de manière fondamentale, c’est-à-dire le respect de sa dignité comme être humain. Ainsi, du point de vue moral ou éthique, la violence est fondamentalement une question de désordre dans la relation à autrui. Il s’agit d’un désordre qui se traduit par l’hostilité et le caractère nuisible ou inamical dans la relation. La violence naît du désordre dans la relation à autrui, c’est-à-dire des carences, manquements ou violations contre la dignité d’autrui. Par conséquent, toute éthique de la paix doit envisager le caractère ordonné et harmonieux de la relation à autrui, c’est-à-dire le respect et la promotion de la dignité humaine. Etant donné que, de manière fondamentale, la justice définit l’ordre relationnel, toute éthique de la paix représente une certaine articulation de la justice comme condition minimale et sine qua non de la paix.

ii. – Justice comme contenu d’une éthique de la paix

L’articulation de la violence en termes d’injustice a un avantage certain. Elle met en exergue la catégorie de la justice comme contenu de l’éthique de la paix. La violence comme violation, de quelque manière que ce soit, de la dignité personnelle ou celle d’autrui est nécessairement un sujet lié à la justice. En fait, cette définition montre que la violence est avant tout une question relationnelle. Elle définit un type de mauvaise relation, de relation immoral ou de relation inéquitable avec soi-même, avec autrui ou avec le monde. La violence se réfère donc à l’injustice parce que la justice désigne le caractère moral ou équitable d’une relation.[4] Rendre à chacun ce qui lui est dû est une expression de l’impératif d’établir une relation juste et donc équitable et moral avec autrui. En fait la paix s’établit à l’issue des relations justes, équitables et harmonieuses. La paix est le fruit de la justice parce que c’est la justice qui définit le type de relation que constitue la paix.[5] Ainsi, toute éthique de la paix doit nécessairement comprendre ne fût-ce qu’une certaine articulation de la justice comme son contenu.

Il faut noter ici avant de poursuivre l’argument que la plupart des grandes théories de la justice, celle de John Rawls comme celle de Michael Walzer par exemple, articulent la justice à partir du paradigme de la distribution de ce qui est dû. C’est fort louable dans la mesure où il s’agit de rendre, de distribuer ou d’attribuer à chacun ce qui lui dû. Cependant l’on doit circonscrire cette distribution dans le cadre de la recherche d’un type de relation que l’on appellera relation juste ou équitable, ou encore relation de justice. 

Circonscrire le paradigme de la distribution dans un cadre relationnel plus large permet de rendre compte des aspects de ce qui est dû à une personne ou à un groupe de personnes et qui ne correspondrait pas aux structures de distribution. Considérons la dignité humaine pour illustration. Elle est ce qui est fondamentalement dû à chaque personne comme être humain. Cependant, il serait difficile de penser une structure qui assurerait la distribution de la dignité humaine comme on distribuerait un bien physique.  Par contre, le concept de relation permettrait d’articuler des aspects comme la dignité humaine dans la définition de la justice.

Signalons par ailleurs que toute bonne relation suppose une certaine mutualité. Je dis une « certaine » parce que ce n’est pas toute mutualité qui définit une relation bonne. Une mutualité peut être utilitariste ou peut servir pour exploiter autrui. La mutualité dans la relation juste comporte l’impératif de respecter les prérogatives d’autrui et l’attente explicite ou implicite d’un traitement favorable par les autres en raison de la considération de la dignité humaine. Par exemple, même dans un milieu inconnu, de même que l’on se donne le devoir de traiter les autres avec certains égards, l’on s’attend, de manière tout au moins implicite, d’être traité avec les mêmes égards, ou tout au moins d’une manière différente de la manière dont on traiterait un animal. La mutualité dans la relation juste comprend donc d’une part les droits et prérogatives auxquels on peut s’attendre comme un être humain et, d’autre part le devoir de respecter les prérogatives et droits des autres.[6]

Ainsi, comme concept relationnel et comme contenu de l’éthique de la paix, la justice comprend le droit de jouir du respect de sa dignité par les autres et le devoir de respecter la dignité des autres. La paix dans une communauté s’établit donc quand tous les membres de cette communauté s’engagent à jouir de leur droit d’avoir leur dignité respectée, mais aussi le devoir de respecter de manière consistante la dignité d’autrui. C’est Saint Thomas d’Aquin qui affirme que la justice produit la paix de manière indirecte parce qu’elle écarte les obstacles à la paix.[7] La mutualité entre le droit de jouir du respect de sa dignité et l’engagement à respecter la dignité d’autrui prévient ou écarte d’emblée le potentiel conflictuel dans la société.

Cependant, le langage des droits et des devoirs a aussi ses problèmes et ses limites. Les limites liées à ce langage deviennent ipso facto celles d’une éthique de la paix qui se bornerait à une compréhension de la justice exclusivement centrée sur le langage des droits et devoirs. En effet, ce langage dans la plupart des cas se rapporte au prescriptible. La question est donc de savoir si la justice peut atteindre son idéal et sa logique interne quand elle se limite à ce qui est et/ou peut être déontologiquement prescriptible. La réponse à cette question déterminerait l’efficacité d’une éthique de la paix basée exclusivement sur une compréhension de la justice qui se limiterait au prescriptible.

L’expérience montre que le prescriptible ne permet pas toujours d’atteindre l’idéal ou la logique interne de la justice qui est de parvenir au bien commun ou d’établir une relation équitable, épanouissante et harmonieuse. Considérons par exemple le SMIG (le salaire minimum interprofessionnel garanti). Il est le salaire minimum prescrit par la loi à tout employeur. Dans la plupart des pays Africains, le Smig représente un salaire de misère. Il n’est pas du tout une « rémunération juste », c’est-à-dire une rémunération qui permettrait au salarié et à sa famille de vivre décemment.[8] Un employeur soucieux du bien commun et de l’idéal de la justice doit aller au-delà du salaire prescrit et payer à son employé ce qui peut être considéré comme un « juste salaire ».

L’employeur soucieux du bien commun qui paye son employé au-delà du salaire prescrit, pour lui permettre de vivre décemment, pose un acte altruiste et généreux. Même si une éthique ne peut prescrire des actes altruistes, il reste que ce genre d’actes a une importance capitale pour interrompre le cercle vicieux de la violence. En situation d’agression par exemple, la règle est souvent la rétribution ou la loi du talion : « œil pour œil, dent pour dent ». Quand on se rend compte que la violence appelle la violence ou que la violence se nourrit de la violence, le cercle vicieux ne peut être arrêté que si, à un certain moment, une personne décide, par un acte altruiste et généreux, de ne plus servir de medium, de fil conducteur ou de vecteur à la violence. En agissant ainsi, il stoppe le cercle vicieux de la violence et établit la paix de manière non pas indirecte, mais plutôt directe.[9] Peut-être que c’est cela que le Sermon sur la Montagne suggère quand il nous présente Jésus demandant de tendre l’autre joue, d’aimer les ennemis et de prier pour « ceux qui vous persécutent » (Matthieu 5, 38-44).

Il sied de se demander à ce niveau s’il est encore question de la justice quand on parle de l’importance d’actes altruistes et généreux pour stopper le cercle vicieux de la violence.  Il se peut aussi que l’on soit passé de la justice comme principe du suum cuique tribuere à la justice comme vertu. Comme une vertu, la justice conduit à la responsabilité centrée non pas seulement sur le principe, mais aussi sur la logique interne et/ou l’idéal même de la justice. La responsabilité du juste peut donc l’amener à poser des actes altruistes et généreux, et donc non prescrits, pour établir directement et effectivement la paix  et l’harmonie.


En conclusion, disons que l’articulation de la violence en termes d’injustice nous a permis d’atteindre deux objectifs. Le premier objectif est celui d’une compréhension holistique de la question de la violence. La violence ne se limite pas à l’agression. Elle comprend toute atteinte injuste, de manière directe ou indirecte, implicite ou explicite, à la dignité humaine. Le second objectif se rapporte au lien entre l’injustice de la violence et la justice comme contenu de l’éthique de la paix. Le simple fait de définir la violence en termes d’injustice suggère que la solution vient nécessairement d’une certaine articulation de la justice comme expression des relations ordonnées, harmonieuses et pacifiques. Cependant, il s’agit non pas seulement de la justice comme principe, mais aussi de la justice comme vertu, celle de la personne qui, parce que juste, prend la responsabilité de l’idéal de justice au point de poser des actes altruistes et généreux nécessaires pour stopper le cercle vicieux de la violence.

Cependant l’on doit reconnaître que la violence comme le mal semblent faire partie intégrante de l’expérience humaine. Ainsi, même si tout semble être en place pour une éthique effective de la paix, on ne peut ne pas se demander si le problème de la violence peut vraiment trouver une solution définitive. En tout cas, l’un des objectifs d’une éthique de la paix, c’est de créer une clairière où peut s’épanouir d’abord l’optimisme sur la possibilité d’un monde de paix, ensuite l’espérance ou l’espoir qu’en fin de compte le bien aura raison du mal ou que le bien triomphera sur le mal, et enfin la foi en Dieu qui est la  source de la vraie paix.




[1] Cet article a été publié dans la revue Akwaba, N°2 (2009), p.55-63.
[2] Il faut concéder dès l’abord que, dans certaines circonstances, il ne serait pas adéquat de concevoir, de manière exclusive, la violence en termes d’injustice. Par exemple dans une situation de légitime défense ou d’intervention humanitaire, la violence est à comprendre non pas comme une injustice mais plutôt comme un moyen, bien qu’étrange, il faut l’avouer, de parvenir à la justice et à la paix. La tradition de la guerre juste constituerait un argument acceptable aux yeux de beaucoup de théoriciens de l’usage moral et donc non injuste de la violence. Par ailleurs, le mot « violence » est utilisé ici dans son acception morale ou éthique. Il ne s’agit pas de son usage analogique où l’on parlerait par exemple de la violence du vent ou d’un volcan.
[3] Voir par exemple Rawls, John, A Theory of Justice, Revised edition, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1999, p. 6: « l’objet premier de la justice, c’est la structure de base de la société ou plus exactement, la manière dont les institutions sociales les plus importantes distribuent les droits et devoirs fondamentaux et déterminent la division des avantages de la coopération sociale » (La traduction est mienne).
Voir aussi Walzer, Michael, Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, Traduit de l’Américain par Pascal Engel, Paris, Seuil, 1997, p. 23-24 :  « Différents régimes politiques établissent, et différentes idéologies justifient, différentes distributions d’appartenance à des communautés, différentes distribution de pouvoirs, d’honneurs, de prééminences rituelles, de grâce divine, de liens de parenté et d’amour, de connaissance, de santé, de sécurité physique, de travail et de loisir, de récompense et de punitions, et de toute une quantité de biens plus matériels et plus spécifiques—de la nourriture, un toit, la possibilité de se vêtir, de se déplacer, de recevoir une assistance médicale, et de disposer de toutes sortes de services, ainsi que toutes les choses bizarres (tableaux, livres rares, timbres-poste) que les êtres humains collectionnent. Il y a bien des systèmes distributifs simples—comme les galères, les monastères, les asiles de fous, les jardins d’enfants (bien que chacun de ces systèmes, si l’on y regarde de plus près, se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît) ; mais aucune société humaine véritable n’a jamais évité la multiplicité ».     
[4] Il est important de ne pas réduire la notion de justice à son usage dans le système judiciaire. Encore faut-il reconnaître que même dans le système judiciaire, la justice renvoie à la réparation des relations endommagées par une quelconque infraction. En fait, fondamentalement et dans sa logique interne, la notion de la justice renvoie à un type de relation qui soit morale, équitable, harmonieuse, ordonnée, contractuelle, etc.
[5] « Justice et paix s’embrassent » chante le psalmiste (Psaume 85, 11) et le prophète Isaïe déclare que « Le fruit de la justice sera la paix : la justice produira le calme et la sécurité pour toujours » (Isaïe 32, 17.Traduction Œcuménique de la Bible, 10e édition, 2004)). Les enseignements des papes, notamment Paul VI et Jean Paul II, à l’occasion des journées mondiales de la paix, ont souvent fait allusion à ces deux textes. Voir par exemple Paul VI, Message pour la célébration de la «  journée de la paix », le 1er janvier 1972 et Jean Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix en 2002.
[6] Remarquons que dans son message pour la journée mondiale de la paix en 1999, Jean Paul II affirme que le secret de la paix c’est le respect des droits humains.
[7] Thomas d’Aquin, cité par Coste, René, La théologie de la paix, Paris, Les Editions du Cerf, 1997, p. 146.
[8] Voir Pie XI, Quadragesimo anno, Nos 63-74; Vatican II, Gaudium et Spes, No 67; Jean Paul II, Laborem Exercens, No 19.
[9] Voir Thomas d’Aquin, cité par Coste, René, La théologie de la paix Coste, p. 146.
LA « BISOÏTE » ET L’EMERGENCE D’UNE ETHIQUE AU NIVEAU DE LA « COMMUNAUTE DIALOGALE » :
LE COMMUNALISME AFRICAIN DANS LA PHILOSOPHIE DU LANGAGE DE TSHIAMALENGA NTUMBA

Par M. Ndomba Ngoma

Dans sa philosophie du langage, Tshiamalenga Ntumba se donne plusieurs objectifs. Il veut démontrer d’abord que c’est le langage qui constitue la différence entre un animal et un humain ; ensuite que cette spécificité de l’homme qui est le langage démontre la socialité humaine et donc développe une compréhension de la société et de l’Etat différente de celle des philosophes individualistes du contrat social et une philosophie du langage différente de celle individualiste de Wittgenstein I. Et enfin articule le primat du nous (bisoïté[1]) sur l’intersubjectivité.

De la socialité relevant de la facticité à la communauté dialogale éthique

Tshiamalenga Ntumba apporte la preuve de la spécificité de la socialité humaine, et donc des conditions de possibilité de l’éthique sociale, à partir de la philosophie du langage. Toute socialité est faite de facticité ou d’artificialité. Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre la socialité des abeilles et celle des humains ? Pour Tshiamalenga Ntumba, la socialité humaine va au-delà de la facticité pour inclure l’idéalité. La socialité animale est « pure facticité » tandis que la socialité humaine « est à la fois facticité et idéalité »[2]. Cette idéalité est spécifiée par la nature humaine, la culture, le langage et l’éthique.
Au-delà des résultats des sociologues et politologues qui montrent que « la société est un système ou sous-système en évolution », Tshiamalenga admet, à partir des résultats de sa philosophie du langage, qu’en plus « d’être un système, la société humaine est en même temps et dialectiquement une ‘communauté dialogale’ et donc une société éthique, i.e. une société qui n’est pas simplement donnée, mais qui, comme société idéale, est nécessairement et toujours déjà postulée par tout acte de parole en tant que communication digne de ce nom»[3].  Pour lui, un langage  qui est une communication digne de ce nom postule ou anticipe, nécessairement et toujours, deux choses : (i) une communauté dialogale et (ii) une éthique.

 Le langage suppose et postule une communauté dialogale

La communauté dialogale est l’expression de la socialité humaine. Le langage implique une communauté au-delà d’un « je » et d’un « tu », c’est-à-dire au-delà de l’intersubjectivité. Si tel est le cas du langage qui spécifie la socialité humaine alors la communauté ou encore le « Nous » (Biso) de la communauté a le primat ou est prioritaire par rapport au couple « Je-Tu » de l’intersubjectivité.

Comment Tshiamalenga démontre-t-il la communauté dialogale à partir du langage ? Pour parler correctement, les interlocuteurs doivent appliquer les mêmes idées aux mêmes mots. Si j’utilise le mot « maison » par exemple, pour me faire comprendre, mon interlocuteur doit avoir comme moi ce à quoi le mot « maison » s’applique. Et cela pas seulement mon interlocuteur, mais tous les membres de cette communauté linguistique. Ainsi contrairement à Locke qui a parlé d’une langue privée, le mot est une affaire publique dont l’idée est perceptible par tous ceux qui font partie d’une telle communauté linguistique[4]. Le langage, par conséquent, suppose une communauté linguistique parce que chaque mot est extramental dans la mesure où l’association entre un mot et une idée est une affaire publique, extramentale et non pas intramentale. L’idée d’une langue privée comme l’idée d’un contrat social caractérise l’aspect individualiste ou solipsiste aussi bien des philosophies du contrat social de Thomas Hobbes (contrat de soumission) et de Jean Jacques Rousseau (le contrat social et volonté générale), que de la perspective individualiste des philosophies du langage de John Locke et de Wittgenstein I.[5].

Wittgenstein II par contre avait compris que parler une langue c’est suivre une règle et que l’on ne peut suivre une règle seul[6]. Par conséquent parler une langue suppose une communauté dialogale. Cependant cette communauté dialogale doit être idéale (CDI=Communauté Dialogale Idéale). Une CDI de l’humanité à la recherche d’un consensus  est une communauté illimitée « dans le temps et l’espace, au-dessus de toute idéologie et hostile par critique, à toute conclusion hâtive »[7]. « Une telle CDI, nécessairement et toujours déjà postulée par tout jeu de langage, n’est autre que la société idéale ou la socialité. Ainsi donc la société n’est pas fondée mais bien postulée par le langage, en sorte que la société n’est ni d’ordre biologique, ni d’ordre conventionnel mais bien d’ordre transcendantal. Mais précisément, cette transcendatalité ne doit point être ahistorique, en sorte que la socialité est toujours en même temps une socialité réelle, historique, idéale et éthique, d’autre part[8] ».
L’affirmation de la communauté dialogale dans le langage suppose deux aspects importants qui méritent d’être soulignés avec force. Le premier aspect est que, par la communauté dialogale du langage, Tsiamalenga différencie le « Nous » de la communauté aux relations intersubjectives. En effet, les relations intersubjectives caractérisent très souvent une approche individualiste de la société. L’intersubjectivité pour Tsiamalenga définit une socialité inter-individualiste, inter-solipsiste, inter-monologiste, inter-personnaliste et/ou associationniste. La socialité bisoïste par contre « transcende la simple facticité inter-individualiste et associationniste »[9]. Le deuxième aspect est que par le fait de la nature du langage humain,  l’être humain est un être social au sens communautaire, c’est-à-dire au-delà de la simple relation entre deux « Je » ou entre un « Je » et un « Tu » de la relation intersubjective. Reconnaître donc le langage humain c’est ipso facto reconnaître la socialité humaine au-delà de l’intersubjectivité.

La communauté dialogale (postulée par le langage) suppose et postule une éthique

L’une des contributions les plus importantes de la  philosophie du langage c’est d’avoir mis en exergue l’éthique de la communication. La philosophie du langage a démontré qu’il y a une éthique dans la communication. Le langage humain comme communication digne de ce nom suit des règles éthiques. Il implique deux grammaires : la grammaire de la langue utilisée et une grammaire éthique. Par conséquent, la socialité humaine mise en relief par le langage est une socialité éthique. Tshiamalenga affirme à cet effet :

« Une telle socialité idéale en tant que condition de possibilité de tout jeu de langage, de tout acte de parole et donc de toute communication digne de ce nom est toujours en même temps une socialité éthique. En effet, pour que la communication soit une communication, certaines normes universelles et impératives doivent nécessairement et toujours déjà être postulées : la socialité, l’égalité des partenaires dialogaux en ce qui concerne tant les droits que les devoirs, la recherche de la vérité en termes de consensus vrai, la nécessité, la conformité au bon usage des expressions linguistiques utilisées, i.e. la conformité aux normes impliquées par la composante performative ou illocutionnaire de tout acte de parole, etc.
Ainsi donc, ce qui distingue la socialité humaine de la socialité animale c’est certes le langage. Mais c’est surtout les conditions de possibilité pour que le langage soit en même temps une communication digne de ce nom. Et il se trouve que bon nombre de ces conditions ne sont autres que des impératifs catégoriques, i.e. des normes éthiques, en sorte que la société humaine se distingue de la société animale en ceci que la société humaine est nécessairement et toujours déjà constitutivement une SOCIETE ETHIQUE »[10].

En définitive, l’examen du langage humain dans la perspective de Tshiamalenga Ntumba révèle donc une éthique qui ne se situe pas au niveau individuel ou personnel du « je », ni au niveau du « je-tu » de l’intersubjectivité, mais au niveau du « Nous » (Biso) de la société. La socialité humaine est fondamentalement une socialité éthique. L’éthique sociale participe de la constitution même du type d’être que sont les êtres humains. Placer la spécificité de l’éthique sociale au niveau de la socialité humaine, c’est en même temps postuler un lien fondamental entre l’éthique sociale et l’anthropologie. C’est donc à juste titre que Roger Mehl affirme que « [c]’est l’anthropologie qui constitue le lien entre l’éthique personnelle et l’éthique sociale »[11].


[1] Ce mot vient du Lingala « biso » qui veut dire « nous ». Le lingala est une des langues parlées au Congo-Brazzaville et en République Démocratique du Congo.
[2] Tshiamalenga, Ntumba, « Langage et socialité: Primat de la 'Bisoïté' sur l'intersubjectivité », dans Recherches Philosophiques Africaines, Philosophie et ordre social, Actes de la 9e Semaine Philosophique de Kinshasa du 1er au 07 décembre 1985, Kinshasa, Facultés de Théologie Catholique de Kinshasa, 1985, p. 57-82, à la p. 57.
[3] Ibid., p.57-58.
[4] Ibid., p. 64.
[5] Ibid., p. 61-66.
[6] Ibid., p.66.
[7] Ibid., p.67.
[8] Ibid.
[9] Ibid., p.58.
[10] Ibid., p. 67-68
[11] Roger Mehl, Pour une éthique sociale Chrétienne, Cahiers théologiques 56, Neuchâtel, Suisse, Editions Delachaux et Niestlé, 1967, p.14.

Tuesday, October 22, 2013

How do we act rightly in a consistent and stable way?
Ethics of principles  vs virtue ethics

M. Ndomba Ngoma

The concern in ethics about what is right raises the question of knowing the right and doing the right. If doing what is right can be the result of the fact of knowing what is right, just or good, the contrary is not always true: knowing what is right does not always lead to acting on it or acting accordingly. This distinction is crucial between the ethics of principles and virtue ethics.

The knowledge of rules, principles, or what is just, right and good does not always, or at least in a compelling way, lead to acting accordingly. This difficulty also raises the question of motivation in human actions. In a permissive society or at least in a society where morality is said to be in decline, the most relevant ethics is the one which can harmonize a consistent and stable “dialogue” between knowing and doing the right.

Virtue ethics explains such a dialogue through its twofold understanding of virtues. First, the virtues refer to the wisdom to find the right and to know the morally relevant issues. Second, they also refer to the motivation to do what is found and known as right, just and good.

However, the argument of virtue ethics does not totally exclude the ethics of principles. Principles, rules, and standards are still needed in any society even when everybody is virtuous.  But an ethics which only focuses on principles and rules may be limited in its scope.

For instance to answer the question of why a particular person consistently acts rightly, one may be obliged to go beyond the consideration of the knowledge of principles and rules. A proper answer to such a question may include the consideration of the character of the agent and his/her motivations. And the consideration of the agent leads to underscore the priority of “being” over “doing,” the priority of the character of the person acting over the act itself.

Consistent actions find their motivation more in the character of the person than on the knowledge the person has of what is right, just and good.

The problem with the morality of principles is that, experience does not always show that the simple knowledge of the good and the right provides the amount of motivation needed to choose it in a consistent and stable way.

For Joseph Kotva, “The virtues give one the wisdom to find the right, help one know which issues are morally relevant, and strengthen one to do the right[1].”

Thus, through a theory of virtues, virtue ethics provides an argument explaining that a virtuous person would more likely act rightly in a consistent and stable way than the person who just knows the principles and rules.


[1] Joseph J. Kotva, The Christian Case for Virtue Ethics (Washington, D.C.: Georgetown University Press, 1996), p.31.

Sunday, October 6, 2013


Oscar Schindler’s dilemma and
the search for a realistic ethics of lying

Par M. Ndomba Ngoma

i.- Oscar Schindler[1] dilemma and his option of lying

Before and during the Second World War, the Nazi regime tortured and killed the Jews in Germany and Poland. The whole Jewish community in these countries was threatened and facing imminent death. This is what is known as holocaust. Oscar Schindler, a German affluent industrialist, is among the witnesses of the sufferings of the Jewish community.  Deciding to become a protector of the Jews, he finds himself in a dilemma. He is torn between the determination to protect and save some Jewish lives on the one hand, and the powerful Nazi political system on the other hand. He faces a structural evil, that is, an evil organized by a corrupt system. Any individual success in opposing such a systemic evil is very unlikely.  Anyone who opposes the system is either put to death or imprisoned.

Schindler decides to use his factory as a means of protecting the Jews. However, he does not tell the Nazis the new purpose of the factory. This dissimulation is a deviation from truth. It is what is called lying. A lie is opposed to truth; it is “any intentionally deceptive message which is stated.”[2]  Schindler’s lies can be established at three levels. First, he lies through the recruitment of extra manpower (from the Jewish community) more than what the factory needs. The list of new employees he makes is a lie. Second, he lies in giving the impression that he is serving the system. Third, he lies in willfully producing defective military equipment.

            Through these lies, Schindler wants to solve the dilemma he is experiencing. He wants to find a way of getting out of his powerlessness before the evil system of the Nazis. Questions may be asked on alternatives to the option of lying. Did Schindler have any alternative to lying? Was lying the last resort? What is the best solution for protecting and saving some Jewish lives in this situation? For him, lying is the best solution. Actually through lying he saves many lives.  

ii. – Schindler’s option and Saint Augustine rejection of lying as a moral option

            However in Saint Augustine’s ethics, lying can never become a good moral option. For him, every lie is a sin, for every lie offends God who gave the speech to human beings so that they might make known their thoughts to one another.[3] Lying deviates from God-given purpose of the speech. Augustine believes that “God forbids all lies and that liars therefore endanger their immortal souls.”[4] The immortality of the soul is for him the greatest value which should be protected by all means. Since lying endangers this immortality, therefore it is unacceptable in any situation. Augustine does not see any circumstances which can outweigh the danger lies present to the immortality of the soul. Any sin for Augustine is dangerous, because the accumulation of many small sins has the impact of important sins. Thus both small and big sins are to be avoided.

Augustine does not put all lies at the same level. He admits that some lies are much more abhorrent than others.  The deception caused by some lies “should be pardoned without its being made an object of laudation”[5], he says.  He distinguishes eight types of lies.[6] The first type of lies is those uttered in the teaching of religion. The second category of lies injures somebody unjustly. The third is beneficial to one person while it harms another, although the harm does not produce physical defilement. The fourth type of lies is those told just for the pleasure of lying and deceiving. This is the real lie. The fifth type is the one which is told from a desire to please others in smooth discourse. The sixth type is the lie which harms no one and benefits some persons. This lie is a refusal to say the truth. The seventh type is harmful to no one and beneficial to some persons (in case of refusal to betray a person who risks a capital punishment). The last type of lies is those which are harmful to no one and beneficial to the extent that they protect someone from physical defilement.

Schindler’s lies enter in the eighth category of lies. They harm no one and are beneficial to the extent of protecting a great number of Jews who risked death. The worst lies for Augustine are those of the first category. Thus Schindler’s lies from the point of view of Augustine are not the worst of lies. Nevertheless in the eyes of Augustine, Schindler is not supposed to lie at all. In fact Augustine gives four reasons for not lying. First, if you start telling small lies, “little by little and bit by bit this evil will grow and by gradual accessions will slowly increase until it becomes such a mass of wicked lies that it will be utterly impossible to find any means of resisting such a plague grown to huge proportions through small additions”.[7] Second, if someone declares to teach the truth, it is a contradiction to say that we ought to lie, because this lie cannot be of the truth. Third, John the Apostle protests that no lie is of the truth. Therefore, it is not true that sometimes we ought to lie. The fourth and last reason is that “what is not true we should never try to persuade anyone to believe”.[8] From the Augustine’s treatment of lying therefore, Schindler was wrong in the solution he found in his dilemma. Augustine is categorical on not lying at all. Yet Schindler lied.

iii. - Searching for a realistic ethics of lying

            However the condemnation of Schindler by Augustine’s ethics of lying raises a number of questions. How is Schindler supposed to deal with the riddles of his context from the perspective of Augustine?  What will happen if Schindler tells the truth to the Nazis? It is most likely that the Nazis will close the factory and put Schindler in prison or even to death. The consequence of this can be that no Jewish life is saved by Schindler. Yet at the end of the movie “Schindler List”, it is said that Schindler is recognized as righteous. This means that his lies are recognized as praiseworthy. The dilemma of the situation Schindler finds himself in brings us to another dilemma, that of the assessment of the lies he uses as a means of saving human lives. If we consider that human life is such a high value that it has to be absolutely protected, then we have to admit that Augustine’s treatment of lying is inappropriate to Schindler in dealing with the many riddles of the context he found himself in. This inappropriateness leads us to rethink or search for a possible ethics of lying which is helpful in the moral commitment to doing good, avoiding evil, and protecting the highest value of human life.

The main purpose of this post is not to provide a realistic ethics of lying, but to raise questions about the importance of such an ethics.




[1] The content of this post was written after watching a movie called “Schindler’s list” directed by Steven Spielberg in 1993. Starring: Liam Neeson, Ralph Fiennes, Ben Kingsley, etc. Please, visit the website of the movie at: http://www.universalstudiosentertainment.com/schindlers-list/
[2] Sissela BOK, Lying: Moral choice in Public and Private Life (New York: Vintage Books, 1999), p.13.
[3] Cf. Augustine, quoted by Sissela Bok, Op. Cit., p.32.
[4] Ibid. p.33.
[5] Ibid.
[6] Ibid. pp.250-251
[7] Ibid. p. 254.
[8] Ibid. p. 255.

Saturday, October 5, 2013

A la recherche de la logique interne du langage des droits humains
Par M. Ndomba Ngoma

Les multiples controverses qui existent autour du concept des droits humains éclipsent souvent son potentiel dans la construction d’une société un peu plus juste, un peu plus en paix et un peu moins violent.  Pour recouvrer ce potentiel, il est impératif de revenir sur ce qui est essentiel et fondamental dans ce concept. Il s’agit de son idéal, son objectif fondamental, sa dynamique ou sa logique interne d’une part, et d’autre part, de l’effort d’historicisation et/ou d’implémentation des principes de droits humains. La logique interne du langage des droits humains est essentielle parce que c’est elle qui préside à l’identification, la reconnaissance, l’attribution des droits humains fondamentaux et à la recherche des moyens ou méthodes de leur réalisation ou implémentation. 

Wednesday, October 2, 2013

« Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9):
Etre le gardien du bien-être des autres et le rêve d’un monde un peu plus en paix et un peu moins violent

Par Mathieu Ndomba Ngoma

L’un des meilleurs points de départ de l’effort de clarification du lien entre injustice et violence est le lieu du premier crime ou du premier acte de violence entre humains dans la bible. Il s’agit de l’histoire de Caïn et Abel (Gn 4, 1-16).

C’était une histoire d’offrandes faites à Dieu. Caïn aurait offert des fruits de la terre, tandis qu’Abel aurait apporté « des prémisses de ses bêtes et leur graisse » (Gn 4, 3). Dieu aurait  tourné son « regard vers Abel et son offrande » et « détourna son regard de Caïn et son offrande » (Gn 4,5). Détourner le visage dans la perspective de l’Ancien Testament, c’est ne pas tenir compte de. Ainsi, ceci veut dire que Dieu n’a donc pas tenu compte de l’offrande de Caïn.

Fort probablement, Caïn a vécu cette attitude de Dieu comme une injustice. Pourquoi lui et pas moi ? Ici déjà, la comparaison n’était pas bonne conseillère ! Il est évident que Dieu n’est pas injuste ici. Mais le sentiment d’injustice a suffi pour pervertir le cœur de Caïn en le rendant jaloux et en le transformant en lieu de naissance du premier crime ou du premier acte de violence d’un humain contre un autre. Le cœur de l’homme ou de la femme est, par conséquent, le véritable lieu de naissance de tout acte de violence. De même que le sentiment d’injustice, justifié ou non, chez Caïn l’a conduit à la violence, de même aujourd’hui les injustices embrasent la violence dans nos communautés, nos pays, nos sociétés et notre continent. Mais l’histoire ne se termine pas là.

Le forfait commis, Dieu demande à Caïn de répondre de son frère : « Où est ton frère Abel ? » La réponse de Caïn est aussi étonnante qu’éminemment instructive sur la violence et la paix. Sa réponse ? « Suis-je le gardien de mon frère ?’ » (Gn 4, 9). En fait, c’est bizarre, mais c’est la meilleure réponse qui soit dans cette situation! Si cette réponse trahit l’hostilité de Caïn contre Abel, elle révèle surtout l’attitude à avoir pour éviter la violence. Si effectivement Caïn avait été gardien de son frère, il ne l’aurait pas tué ; il n’aurait pas versé dans la violence. Devenir gardien de son frère et/ou de sa sœur, c’est l’attitude nécessaire pour extirper la violence de nos communautés et de nos sociétés. Cette attitude c’est d’être capable de répondre de son frère et/ou de sa sœur quel/le qu’il/elle soit. Répondre de son frère ou de sa sœur implique la question de la responsabilité. L’humanité réduirait significativement la violence si chaque personne devenait capable de répondre de son frère et/ou de sa sœur ou devenait gardien de son frère et/ou de sa sœur.

Remarquons que deux aspects fondamentaux de la question de l’injustice et de la violence se dégagent de l’histoire de Caïn et Abel. Le premier aspect c’est le lien entre injustice et violence. Le sentiment d’injustice a conduit Caïn au crime et à la violence. Le second aspect c’est la question de la responsabilité, la capacité de répondre de son frère et/ou de sa sœur comme attitude nécessaire pour endiguer la violence et l’injustice dans la communauté ou la société. Le monde gagnera en paix, quand chaque personne sera le gardien de son frère et/ou de sa sœur.


Ces deux aspects permettent de rendre explicite non seulement le lien entre injustice et violence, mais aussi ce qui est requis pour briser le cercle vicieux de l’injustice et de la violence afin de rêver de la construction d’un monde plus un peu plus en paix et un peu moins violent.