PRINCIPE DE TOLÉRANCE SOCIO-CULTURELLE ET CONSTRUCTION DE LA PAIX
DANS UN MONDE DE MIGRANTS, GLOBALISE, MULTICULTUREL ET/OU MULTICIVILISATIONNEL
Par Mathieu Ndomba Ngoma
Une lectrice de ce blog avait fait une
remarque judicieuse sur la question de la tolérance après sa lecture de
l’article sur la justice comme contenu de l’éthique de la paix. Je lui avais
promis, en réponse, que je posterai quelque chose sur le lien entre la tolérance
et la construction de la paix. Le thème de la tolérance est aussi à l’ordre du
jour si l’on considère la manière dont les ministres Cécile Kyenge (en Italie)
et ChristianeTaubira (en France) sont vilipendées à cause de la couleur de leur peau et de leur origine
africaine. En postant donc ce texte, j’invite tous les lecteurs et lectrices de
ce blog à apporter leur contribution sur le thème de la construction de la paix
dans notre monde de migrants, globalisé,
multiculturel, multicivilisationnel et en proie à de multiple formes de violence.
Comprendre la tolérance socio-culturelle
Le concept de tolérance est large. Elle a
souvent été évoquée dans le cadre des rapports entre le pouvoir politique et le
pouvoir spirituel. On peut se rappeler de la lettre de John Locke sur la tolérance en 1689 et du traité de Voltaire
sur la tolérance en 1763. En dehors de quelques pays où la liberté religieuse n’est
pas reconnue, en général, elle est un acquis dans le monde moderne marqué par
la démocratie.
Le défi actuel sur cette question porte surtout
sur la tolérance sociale et culturelle. L’existence et la récurrence du
racisme, du tribalisme, du régionalisme, du sexisme et de toutes les autres
formes de discrimination sociale et culturelle non seulement démontre qu’il y a
encore un long chemin à parcourir, mais aussi appelle à la mobilisation des
personnes de bonne volonté qui croient à la possibilité d’un monde où les
humains, malgré leurs différences, vivraient en harmonie dans un profond
respect mutuel.
La tolérance sociale et culturelle est une
condition de la paix et de l’harmonie dans ce monde de migrants, dans un monde
globalisé où la coexistence s’impose à tous. En effet, comme l’a si bien défini
l’UNESCO, la tolérance est
« le respect, l'acceptation et l'appréciation de la
richesse et de la diversité des cultures de notre monde, de nos modes
d'expression et de nos manières d'exprimer notre qualité d'êtres humains. Elle
est encouragée par la connaissance, l'ouverture d'esprit, la communication et
la liberté de pensée, de conscience et de croyance. La tolérance est l'harmonie
dans la différence. Elle n'est pas seulement une obligation d'ordre éthique ;
elle est également une nécessité politique et juridique. La tolérance est une
vertu qui rend la paix possible et contribue à substituer une culture de la
paix à la culture de la guerre ».
La
reconnaissance de l’humanité de l’autre comme fondement de la tolérance
socio-culturelle
Cette définition
de la tolérance de l’UNESCO incite à rechercher ce qui permet ou favorise ce « respect »,
« cette acceptation » et cette « appréciation » des autres.
Je crois profondément que tout part du principe
de reconnaissance mutuelle comme humains.
C’est quand chaque personne reconnaît en l’autre un semblable ayant les mêmes
aspirations, le même désir de bien-être et de liberté, les mêmes droits
fondamentaux, etc. qu’émerge et prend racine la valeur et le principe de la
tolérance. En fait, c’est dans la reconnaissance de l’humanité de l’autre au-delà des contingences raciales, sociales, culturelles et religieuses
et des identités particulières que s’enracine la vertu de la tolérance qui
produit l’harmonie et la paix.
La reconnaissance mutuelle de l’humanité
permet d’enraciner la tolérance parce qu’elle (la reconnaissance de l‘humanité)
suppose un double impératif. Le premier impératif porte sur la prise de
conscience du fait d’être devant un autre soi-même pour prendre l’expression de
Paul Ricœur.
Si l’autre est un « autre soi-même », alors on peut établir une similarité
et une dissimilarité. L’autre a les mêmes aspirations que moi. Mais il est
autre et l’on doit être conscient de cette altérité pour faire place à l’écoute,
à une attention bienveillante, à l’empathie et s’engager dans la dynamique et
la dialectique du « donner et du recevoir ».
Le deuxième
impératif est moral. Reconnaître l’autre comme un « autre soi-même »
suscite des droits et des devoirs. Il s’agit du droit de la même reconnaissance
par l’autre et le devoir de reconnaître l’humanité de l’autre. Le fondement de
ces droits et devoirs, c’est la dignité humaine. Il est donc question du droit
d’avoir sa dignité respectée par l’autre et de devoir de respecter la dignité
de l’autre. Un tel respect de l’autre mettrait fin à l’impérialisme culturel et
aux tendances et campagnes assimilationnistes et suprématistes.
Si une société tolérante est celle qui a
bannit l’impérialisme
culturel et les tendances et campagnes assimilationnistes et suprématistes,
alors deux autres principes portent la tolérance. Il s’agit du
multiculturalisme et du cosmopolitisme.
Tolérance socio-culturelle et
multiculturalisme
La plupart des Etats
sont multiculturels, multi-ethniques ou multicivilisationnels. L’on ne peut pas
penser l’harmonie sociale sans l’acceptation mutuelle de la pluralité culturelle,
civilisationnel et ethnique. En fait, « le
multiculturalisme ambitionne en effet de promouvoir un mode d’intégration
politique et sociale qui, sur bien des points, prend le contre-pied du modèle
sur lequel se sont édifiés les Etats-nations »[4].
Il est « une conception de l’intégration établissant qu’il est en quelque sorte
du devoir de l’Etat démocratique de ″reconnaître″, d’une part, la multiplicité des groupes
ethnoculturels qui composent de manière significative sa population, et de
chercher, d’autre part, à accommoder dans la mesure du possible, sur la base de
principes clairement identifiables, cette diversité culturelle. La conception
multiculturaliste marque, par conséquent, le renoncement à un point de vue
assimilationniste fort qui se fonde sur un principe de stricte
indifférenciation dans la reconnaissance »[5].
Ainsi, le multiculturalisme décrit la
reconnaissance de la validité de toutes les cultures ou de chaque culture dans
la perspective du pluralisme culturel et civilisationnel des Etats modernes et
du monde. Il décrit un modèle d’intégration dans une perspective de
l’universalité plurielle. Il est l’opposé de l’assimilationnisme, de la
hiérarchisation des cultures et des civilisations, de l’impérialisme culturel
et civilisiationnel, de la colonisation culturelle, des missions
civilisatrices, etc. Ainsi, le sentiment multiculturel enracine la tolérance
envers les personnes appartenant à d’autres cultures.
Tolérance socio-culturelle et
cosmopolitisme
La tolérance est aussi portée par le
cosmopolitisme. L’idée du cosmopolitisme se rapporte au sentiment d’être
citoyen du monde. Les humains ont en partage la citoyenneté du monde. En fait,
tous les humains ont en commun le monde et ils sont tous citoyens du monde. En
vertu de cette citoyenneté mondiale, tout humain jouit, potentiellement tout au
moins, du droit d’être accueilli non pas comme ennemi mais comme hôte partout
dans le monde. Dans sa perspective, Emmanuel Kant fait reposer le cosmopolitisme
sur le droit à l’hospitalité. Comme citoyen du monde, tout humain a le droit d’être
accueilli partout dans le monde. C’est sur cette base qu’il propose son projet
de paix perpétuelle.
L’hospitalité de l’étranger qui consiste, selon lui, à transformer son statut
de celui d’étranger ennemi hostile et belliqueux à celui d’un hôte à accueillir,
devient fondamentale dans notre monde de migrants, globalisé, multiculturel et
multicivilisationnel. Le sentiment cosmopolite enracine la tolérance envers l’étranger.
Le voisin étranger est aussi chez lui quand il vit dans mon pays. Les
frontières des Etats sont des inventions humaines. La terre elle a été donnée à
tous les humains. Sur la planète terre, tout humain est chez lui partout où il
est. C’est un vieil homme qui, l’autre jour, disait avoir visité plusieurs pays
dans les années 50 et 60 sans avoir eu besoin de visas. Le visa, cette
invention étrange, était inconnue aux citoyens du monde d’il y a à peine
quelques décennies.
Conclusion
A la lectrice qui, par son message, m’a
amené à poster ces mots, je dirai qu’effectivement, la tolérance fait partie de
l’éthique de la paix. C’est en fait un aspect de la justice dans la mesure où
au niveau fondamental la justice est tout d’abord cette reconnaissance de l’humanité
de l’autre qui se trouve aussi au fondement de la tolérance. Ce qui est
fondamentalement dû pour que justice se fasse c’est tout d’abord la
reconnaissance de l’autre comme humain. Un monde tolérant est un monde un peu
moins violent et un peu plus en paix, parce que le tolérant reconnait l’humanité
de l’autre, sa dignité, ses droits et devoirs, sa culture et sa citoyenneté
mondiale.
Patrick SAVIDAN, Le multiculturalisme, Coll. Que
sais-je ?, Paris, Puf, 2009, p.3.